Un catholique est-il forcément de droite ?


Une pétition fait en ce moment le tour de l’Internet dont, notamment, le Forum catholique, appelant l’attention du Souverain Pontife, auprès duquel le président de la République va se rendre, en célibataire, en visite d’Etat le 24 janvier, sur le scandale que constitue l’attitude du Gouvernement actuel sur les questions de société.

Cette supplique a pour but d’appeler respectueusement l’attention du Saint-Père sur le « malaise » que vivent les pétitionnaires à propos de ces questions : la liste ne vous apprendra rien, elle est longue, au demeurant parfaitement légitime et je vous invite à vous y référer si nécessaire.

S’en est suivi un débat sur la question de savoir si, de même que la gauche n’a pas le monopole du coeur, elle n’a pas davantage celui de faire des horreurs en matière de questions de société. Sujet complexe que certains sont tentés de limiter à une seule question pourtant assez réductrice : un catholique est-il forcément de droite ?

Constatons d’abord qu’avoir un président de la République se disant de droite ne garantit pas forcément qu’il saura se tenir devant le Pape : à la génuflexion et à l’habit du général de Gaulle, catholique très pratiquant, succédèrent en son temps le tapotement de Nicolas Sarkozy, deux fois divorcé et très décontracté, sur son téléphone mobile. Mais même s’il n’est pas inutile de rappeler en exergue que la « droite » d’argent n’a rien à voir avec la droite catholique, l’essentiel, en 2014, n’est pas là.

L’année dernière, en effet, avec le recul, on voit bien que ce sont, en réalité, tous les catholiques de France (aile tradi comprise) qui sont tombés dans le panneau du mariage « pour tous », croyant peut-être, pour les mieux intentionnés, que l’Église allait ainsi se refaire une santé, une légitimité, voire une mission, trois choses qui semblaient lui faire défaut depuis quelques dizaines d’années.

Soyons clairs, j’étais totalement du côté de la Manif pour tous : comment peut-on, — catholique ou pas d’ailleurs, — définir le mariage, si les mots ont un sens, autrement que comme l’union d’un homme et d’une femme pour fonder un foyer et perpétuer notre espèce ? C’est plutôt le non-débat sur la question de la définition même du mariage, lors de l’élaboration de la loi Taubira, et l’incapacité de la droite de répondre en soulevant cet argument, qui étaient stupéfiants. Mais passons.

Certains observateurs n’hésitent pas à parler d’une confiscation abusive, pour ne pas parler d’une manipulation. Dans un ouvrage récemment paru, Le Mystère français, Emmanuel Todd va jusqu’à affirmer que ce qu’il appelle « catholicisme zombie » est un peu une façade, dans ces manifestations. Selon lui, c’est en réalité la droite dure qui a pris argument du mariage dit « pour tous » pour passer à l’offensive. Il a ainsi remarqué que les députés qui étaient les plus en pointe dans les manifestations provenaient plutôt de régions laïques, comme Hervé Mariton, Jean-François Copé, pas forcément de régions catholiques. La réalité est plus complexe ; mais cet homme de gauche, que j’imagine non pratiquant, a peut-être raison sur un point : où est l’Evangile dans tout cela ?

Car ce qui me paraît le plus ennuyeux, c’est surtout le contresens qui consiste à réduire l’Eglise catholique à un rôle de gardienne de la moralité, en faisant l’impasse sur sa mission évangélique de convertir les nations, toutes les nations et à toutes les époques, à la vraie Foi qui est celle de l’Eglise catholique.

De ce point de vue, la pétition adressée au Pape reprend cette erreur de méthode qui fut celle de la Manif pour tous. En donnant une telle visibilité au combat contre le mariage contre-nature, ceux d’entre eux qui se réclamaient, laïcs en t-shirt rose ou clercs en soutane, du catholicisme, ont donné de ce dernier une image déséquilibrée. Ont-ils su remettre Notre Seigneur Jésus-Christ et Son Eglise à la place qu’ils doivent occuper dans notre société, ou ont-ils au contraire éloigné de Lui ceux qui les ont regardés défiler ?

Cette Église, l’Evangile le dit clairement (Mt 28, 19-20), n’a pas été instituée pour faire de la politique mais pour amener les gens au Ciel : on n’y facilite sans doute pas son entrée en faisant une parodie de mariage contraire à la définition naturelle de ce dernier, mais ce débat réduit la question de la place de l’Eglise à un sujet qui n’est même pas évoqué dans l’Evangile, contrairement à d’autres. La focalisation sur la question frise l’obsession et cantonne, dans l’esprit de la majorité des observateurs, l’appartenance à l’Eglise à un ensemble réducteur de positions morales, se prêtant aisément à la caricature et qui évacue de facto, dans le message ainsi envoyé à une France profondément déchristianisée, la personne et le rôle salvifique du Christ.

Quand on manifeste, c’est pour convaincre les autres, ce n’est pas un but en soi ; or convaincre cette majorité de sceptiques en manifestant contre le mariage « pour tous », sans même tenter de leur parler d’une Foi sans laquelle nos positions morales sont impossibles à comprendre et à accepter, c’est mettre la charrue avant les boeufs.

D’autant que même sur les questions morales, nous faisons preuve d’une sélectivité qui frise l’inconscience : où l’Eglise en est-elle, par exemple, sur le divorce, condamné sans ambiguïté possible par Notre-Seigneur dans l’Evangile (Mc 10, 1-12), même pas mentionné dans la pétition qu’on nous invite a remettre au Pape ?

Rappelons qu’institué par la Révolution, il a été supprimé en 1816 par la loi Bonald. Le considérant comme un « poison révolutionnaire », la royauté rétablie a voulu par là « rendre au mariage toute sa dignité dans l’intérêt de la religion, des mœurs, de la monarchie et de la famille. » Voilà un combat indiscutablement catholique et de droite qui est progressivement tombé aux oubliettes de tout le monde depuis qu’en 1884 un régime républicain le rétablit.

Le taux de divorce en France en 2011 était de 44,7 %. Ce taux avait atteint un pic en 2005, à 52,3 %, avant de décliner. Sans doute n’est-ce pas la perspective de la législation créant une parodie de mariage destinée aux couples de même sexe qui a fait reculer le divorce, mais il faut reconnaître que, statistiquement, les ravages du divorce sont, même s’ils n’ont pas exactement les mêmes effets, sans commune mesure avec ceux du mariage contre-nature : pour 2013, l’INSEE estime à environ 231.000 le nombre de mariages de personnes de sexe différent et à 7.000 le nombre de mariages de personnes de même sexe ; dans le même temps étaient officialisés près de 130.000 divorces, tout aussi contraires à l’ordre voulu par Dieu dès le commencement du Monde.

Un homosexuel qui fait l’effort de la continence est sans doute, de ce point de vue, en moins mauvaise posture qu’un manifestant qui idolâtre Béatrice Bourges mais, bien en phase avec le reste de sa génération, va tranquillement forniquer avec sa copine, ou alors a défilé, sans plus y penser, en sweat-shirt de la MPT mais en famille « recomposée »… Certains ont tellement peu conscience d’être en état de péché mortel qu’on peut sans doute à leur sujet plaider l’ignorance invincible.

L’autre erreur est l’image à tort véhiculée d’un peuple catholique blanc comme neige, montrant du doigt la majorité impie, alors que Notre Seigneur Jésus-Christ est venu pour appeler non les justes, mais les pécheurs, à la pénitence (Lc, 5, 32). Les hommes sont tous placés, hormis la Très Sainte Vierge, du point de vue du péché, à la même enseigne et ne peuvent rien sans la grâce (« Vous ne pouvez rien faire sans moi », Jn, 15, 5). Nous aurions été tellement plus écoutés si nous avions mis en avant ce qui nous rapproche, plutôt que ce qui nous divise, ce que nous avons en commun et que même les plus grands saints nous rappellent :

La chasteté est une vertu que nous n’avons pas la force de pratiquer si Dieu ne nous l’accorde pas; et Dieu n’accorde cette force qu’à celui qui la demande.

Saint Alphonse de Liguori, Le grand moyen de la prière.

Et le même saint Alphonse de citer saint Paul :

Saint Paul priait avec instance pour être délivré des tentations charnelles : « Il m’a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter… A ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’il l’éloigne de moi » (2 Co 12, 7). Mais le Seigneur lui répondit : « Ma grâce te suffit ».

ibid.

On me répondra que si les prêches politiques et peu charitables sont une mauvaise chose, le clergé est aujourd’hui largement convaincu (sauf ses éléments les plus modernistes) que sa discrétion sur les lois de société des années 1960 et 1970, notamment l’infâme légalisation de l’avortement en 1975, a été une énorme erreur, qui a accrédité l’idée que tout avait changé et que tout était permis. Ses membres cherchent depuis à rattraper ce qu’ils perçoivent comme l’erreur de leurs prédécesseurs. Le premier signe en ce sens a été les manifestations de 1984 pour l’école libre.

Mais ce que personne ne veut voir, c’est que cette focalisation des catholiques sur les questions de société et, parmi ces dernières, de façon très sélective, ne fait qu’accentuer un déséquilibre dans le message de l’Eglise dont l’époque conciliaire (je dis bien l’époque conciliaire plutôt que « le Concile ») était davantage un effet parmi d’autres qu’une cause. Or les effets de ce déséquilibre sont catastrophiques.

C’est en effet surtout la discrétion entretenue par le même clergé, non pas sur les questions morales, mais sur la personne de Notre Seigneur et sur les raisons pour lesquelles Il a été engendré de toute éternité qui est au fond du problème. Les effets de cette négligence sont catastrophiques et les chiffres sans appel : selon un sondage TNS Sofres/Logica publié en 2009, seuls 13 % des catholiques — à peine plus que l’ensemble de la population (10 %) — déclarent croire en Sa Résurrection (7 % en la réincarnation, 40 % en quelque chose et 33 % en rien). Il n’y a que chez les pratiquants réguliers que la Résurrection recueille une majorité : 57 %.

Autrement dit, le clergé a négligé la principale mission de l’Eglise, qui est d’oeuvrer pour la gloire de Dieu et le salut du Monde : ses ouailles répètent distraitement ces mêmes paroles, insérées, dans la célèbre et très mauvaise traduction/paraphrase/résumé de l’Orate fratres, dans l’offertoire de la messe de Paul VI… mais elles ne savent pas ce qu’elles veulent dire.

Le salut des âmes, dont le moyen est la grâce et la condition la Foi, est la loi suprême de l’Eglise. Or depuis Humanae vitae, l’Eglise se comporte comme si la seule bataille qui comptait était celle des moeurs alors que sur le plan de la Foi, tous les tabous peuvent être brisés : le Pape promulgue une messe protestante, embrasse ce qu’on appelle le “Coran”, chante les louanges du mahométanisme ; un prince de l’Église renouvelle, revêtu de ses habits pontificaux, les promesses de son baptême sous la férule d’une hiérarque femelle hérétique ; on célèbre la messe et on donne la communion dans des conditions qui conduisent à profaner quotidiennement le Saint Sacrement ; et, surtout, les curés font faire du dessin aux enfants (je parle d’expérience) au lieu de leur apprendre leur catéchisme.

Toutes ces choses, et pas seulement le catéchisme, n’étant plus enseignées par le clergé, elle ne sont plus connues des fidèles, qui ont pour fâcheuse habitude de prendre, en matière de foi comme de morale, leurs désirs pour des réalités : chacun voit midi à sa porte, les manifestants contre le mariage pour tous, comme ceux qui les regardent passer. Ni les uns, ni les autres, ne sont invités à regarder l’essentiel : la vie éternelle, la grâce, la Foi.

Dans ce contexte, débattre gravement de la question de savoir si être catholique, c’est être de droite, ce n’est même pas vrai ou faux, c’est juste totalement hors sujet.

Ce sont les pasteurs de l’Eglise de France (à commencer par leurs évêques), qui embobinent les uns et autres avec ces débats hors-sujet depuis quarante ans, qui en portent la responsabilité — et qui en répondront devant Dieu. Je ne prétends donc pas, quant à moi, les juger sauf, comme l’Evangile m’y invite, en jugeant cet arbre à ses détestables fruits.