Madame, Mademoiselle, Monsieur : les Chienn-e-s de garde et les beautés cachées de l’héritage giscardien


L’épisode du « mademoiselle » de la semaine dernière m’a tellement agacé que je me permets d’y revenir. « Madame, Mademoiselle, Monsieur » : ainsi débutaient,— vous le ne le saviez pas puisque vous n’étiez pas encore né-e-s, — toutes les allocutions de Valéry Giscard-d’Estaing lorsqu’il était président de la République. On remarquera tout de suite la subtile hiérarchie, — pas si subtile, d’ailleurs, — que cette expression établit entre les dames, les demoiselles et les messieurs, sans parler des damoiseaux qui ne sont même pas mentionnés : que les messieurs passent après tout le monde ne pose strictement aucun problème, mais que les demoiselles cèdent la place aux dames, voilà qui ne va plus du tout à une époque où ni l’âge, ni le fait de fonder une famille ne doivent plus vous apporter le moindre supplément de satisfaction. Bref, les demoiselles, — fussent-elles placées avant les messieurs et donc établies par Valéry Giscard d’Estaing en personne à la place de la Noblesse par rapport au Tiers avant le quatre août 1789, — ont décidé de s’é-man-ci-per.

Pour quelqu’un de ma génération qui, depuis l’enfance, considère l’égalité entre hommes et femmes, riches et pauvres, blancs et noirs, gai-e-s et hétéros comme autant d’évidences, le combat des Chien-ne-s de garde — mon Dieu que leur blog est hideux — pour l’abolition d’un terme dont l’utilisation par le chef de l’Etat, en 1974, fut plutôt pris comme une marque de considération à leur égard, a des motifs d’étonner. C’était, il est vrai, à une époque bien révolue : celle où mes parents, au téléphone qui n’avait pas encore tout à fait rompu avec les charmes du 22 à Asnières, trouvaient tout naturel d’appeler les standardistes « mademoiselle », puisque on pouvait alors sans trop se tromper présumer que c’était une charmante jeune personne qu’on entendait au bout du fil. Celle, aussi, où on enseignait sans sourciller, aux enfants, que das Fraülein c’était neutre, comme das Kind : pas parce que les demoiselles seraient demeurées au rang des enfants, mais parce qu’en allemand, il y avait der, die, et das.

On pourrait trouver risible que le Gouvernement actuel qui, — au vu de son bilan calamiteux, — aurait pourtant d’autres chat-t-e-s à fouetter, se préoccupe d’abolir, par circulaire du Premier ministre, le terme de mademoiselle sans, hélas ! que l’Académie française, qui craint d’être ridicule, y trouve cette fois un mot à redire. On pourrait pourtant aussi trouver naturelle, comme je l’ai dit, de traiter également les gens tout en montrant un peu de respect pour nos traditions et notre héritage, dont la langue fait partie, sauf à trouver qu’elle serait un instrument intrinsèque de la domination masculine, ce qui serait parfaitement ridicule.

Ceux qui applaudissent sottement à ce nouveau vandalisme feraient bien de pointer du doigt d’autres usages plus barbares encore : pourquoi, ainsi, tant de gens continuent-ils, — pardon, elles, — sans qu’on leur dise à quel point c’est cruche, de commencer toutes leurs démarches administratives par la formule « Madame, Monsieur, », — stupide raccourci de celle des allocutions présidentielles d’autrefois, — allant parfois jusqu’à employer cet appel alors qu’ils s’adressent à un personnage dont le sexe est parfaitement identifié ? Pourquoi madame passerait-elle systématiquement avant monsieur ? Pourquoi le Premier ministre ne donne-t-il pas instruction aux préfets de veiller à ce que les deux formules soient employées avec une parfaite alternance, afin que les administré-e-s, qu’elles ou ils, qu’ils ou elles, — je ne sais quelle est la formule homologuée par l’administration, — appartiennent au sexe fort ou au beau sexe, ne se sentent pas humilié-e-s par cette nouvelle forme d’esclavage ? Pourquoi monsieur, comme je l’ai encore fait ce matin au bureau de poste, tiendrait-il la porte à madame ? L’humilie-t-elle en le faisant, comme je suis prêt à parier que les Chien-nne-es de garde le pensent ? Les Chiennes vont-elles voter Sarkozy pour remercier le Premier ministre d’avoir enfin pris le chemin de Damas ? Que pense de tout cela le président Giscard ? Autant de sources de gravissime perplexité auxquelles je sens que je peux autant me brosser que d’attendre la réponse.

Sur ce, comme nous sommes au premier vendredi de Carême, je vais sortir mon filet de colin Picard du congélateur. Bon week-end à tout-e-s.