Les confessions entendues par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X sont-elles valides ?


On ne peut assez insister sur l’importance que revêt, pour le fidèle catholique, la confession des péchés, suivie de leur absolution : il ne s’agit en effet de rien moins que du seul moyen de rendre aux fidèles baptisés la grâce sanctifiante absolument nécessaire pour parvenir au salut. Tout, dans le droit de l’Église, est pour cette raison subordonné, après la gloire de Dieu, à cet objectif. Le canon 1752 du nouveau code de droit canonique promulgué en 1983, en disposant que « le salut des âmes doit toujours être dans l’Église la loi suprême », est sur ce point dans une continuité parfaite avec ce que les Papes ont toujours enseigné :

Le but et l’objet des lois ecclésiastiques, et par le fait même des pouvoirs et des facultés, n’est autre que ce qui concerne le culte de Dieu et le salut des âmes.

—Léon XIII, encyclique Immortale Dei, cf. Prümmer, T. I, n. 181.

Le pouvoir d’absoudre les péchés est donc, avec celui de dire la messe, au coeur du dispositif institué par Notre Seigneur Jésus-Christ (Jn, XX, 21–23) et donné par Lui à ses Apôtres pour accomplir, jusqu’à la fin des temps, la mission de rédemption pour laquelle Il a été envoyé sur Terre. Ce dispositif, fidèlement appliqué par tous leurs successeurs, a parfaitement fonctionné jusqu’à la grave remise en cause qui en a ébranlé jusqu’aux fondements, à partir du milieu du siècle dernier, et dont certains instigateurs étaient placés au sommet de l’Eglise.

L’opération « survie » engagée par Mgr Lefebvre pour permettre la continuation des missions de l’Église par le moyen d’une société de prêtres restés parfaitement catholiques s’est heurtée à une féroce résistance de la part du parti moderniste. Cela a été le cas plus que partout ailleurs en France, où une bonne partie du clergé diocésain s’acharne à affirmer, en invoquant des raisons que nous examinerons plus bas, que les confessions entendues par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X seraient invalides. L’abbé Zuhlsdorf, ancien ministre luthérien personnellement ordonné par Jean-Paul II après qu’il eut abjuré le protestantisme, incardiné en Italie et auteur d’un blog très largement lu, est un des principaux tenants de cette position hostile à la Fraternité.

Dans ce climat délétère et confus, beaucoup de gens sont gagnés par le doute, sur une question qui, pourtant, ne devrait en aucun cas en souffrir. Quel fidèle traditionaliste n’a pas songé, pour se prémunir contre le risque d’une absolution invalide, — voire de se rendre coupable d’avoir simulé un sacrement, — à recourir à un prêtre diocésain, régulièrement incardiné  ? Malheureusement, le moins que l’on puisse dire, c’est que vu la manière dont beaucoup de prêtres diocésains, peut être même la majorité, entendent les confessions et absolvent les péchés, on a souvent des raisons de se demander s’ils ont vraiment l’intention de faire ce que fait l’Église, condition elle aussi absolument nécessaire à la validité du sacrement. Combien d’entre nous ont-ils dû entendre encore un autre prêtre diocésain affirmer doctement que tel manquement au Décalogue n’était pas vraiment un péché, refuser de donner de pénitence, voire, — c’est fréquent, — utiliser une formule d’absolution invalide  ?

Ces gravissimes difficultés, conséquence directe de la crise de l’Église, nous obligent à analyser les choix possibles avec rigueur et lucidité. Nous verrons ici, pour démontrer la validité des confessions entendues par les prêtres de la FSSPX :

  • qu’un pouvoir de juridiction est nécessaire, en plus du pouvoir d’absoudre les péchés possédé par chaque prêtre en vertu de son ordination, pour administrer la plénitude du sacrement qui est aussi un jugement qui réconcilie le pécheur avec l’Église (1) ;

  • que les prêtres de la Fraternité Saint Pie X n’ont pas le pouvoir de juridiction ordinaire ou délégué que l’Eglise a institué à cet effet dans le code de droit canonique, mais plutôt une juridiction de suppléance, reçue directement de l’Église en vertu du même code et qui s’applique, validement et licitement, même lorsque le pénitent sait qu’ils n’ont pas les facultés normalement requises (2) ;

  • qu’enfin la validité des confessions entendues par les prêtres de la Fraternité a été reconnue, explicitement ou implicitement, par le Saint-Siège, ou par des autorités reconnues par lui, à de nombreuses reprises et n’a jamais été déniée (3).

1. Même si le pouvoir radical d’absoudre est nécessairement conféré par l’ordination, chaque prêtre doit, parce que le sacrement de Pénitence est un jugement, disposer aussi d’un pouvoir de juridiction, soit ordinaire, soit délégué

1.1. Le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction sont tous deux nécessaires à l’administration du sacrement de Pénitence, mais ont des finalités distinctes

Un prêtre, en vertu de son ordination, a ce qu’il est convenu d’appeler le pouvoir radical d’absoudre, que saint Thomas d’Aquin a ainsi défini :

Tout prêtre, en vertu du pouvoir d’ordre, a le pouvoir indifféremment sur tous les hommes et pour tous les péchés ; le fait de ne pouvoir absoudre tous les hommes de tous les péchés dépend de la juridiction imposée par la loi ecclésiastique. Mais, puisque la nécessité n’est pas sujette à la loi, en cas de nécessité, il n’est pas empêché par les dispositions de l’Église d’absoudre vraiment sacramentellement, étant donné qu’il possède le pouvoir d’ordre.

—S. Th. Supplementum Q. 8, a 6.

On voit que, pour saint Thomas, la potestas clavium est essentiellement semblable au pouvoir de consacrer les espèces eucharistiques : elle dérive directement du caractère sacerdotal de celui qui en est investi, étant réellement conférée à tout prêtre au moment même de son ordination.

En revanche, la contrition du pénitent n’est suffisante (c’est-à-dire parfaite) que s’il est prêt à s’unir aux satisfactions du Christ et à y prendre part : l’expression de cette contrition doit donc être incorporée dans le signe sacramentel lui-même, par une détermination, arrêtée par le prêtre, de la mesure de satisfaction suffisante, pour que celui-ci soit réellement existant et achevé. C’est pour cette raison que le seul pouvoir d’ordre ne suffit pas pour poser le signe sacramentel et confectionner, en quelque sorte, le sacrement : la doctrine traditionnelle de l’Église considère, depuis au moins le douzième siècle, que le prêtre ne peut, en vertu de son seul pouvoir d’ordre, requérir avec autorité cette nécessaire contrition du pénitent pour que sa sentence puisse devenir l’instrument par lequel Dieu infuse à l’intéressé la grâce justifiante. Saint Thomas considère que le prêtre doit pouvoir disposer des trois actes du pénitent : contritio, confessio, satisfactio, ce qu’il ne peut faire que par un exercice d’autorité (Suppl., qu. VIII, art. 4, c). Le prêtre agit donc nécessairement, dans le cadre du sacrement de Pénitence, en qualité de juge ; il doit être investi de l’autorité nécessaire sur ceux qu’il est amené à juger, sous la forme d’une juridiction canonique, faute de quoi la sentence qu’il rendra ne les liera pas.

Ainsi pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction, s’ils sont tous deux nécessaires pour que le sacrement soit validement conféré, obéissent à des finalités distinctes :

  • en vertu du pouvoir d’ordre, le prêtre a le pouvoir d’agir efficacement, comme instrument de Dieu, dans la justification du pécheur, l’octroi de la grâce sacramentelle, la suppression de la culpabilité et celle de la peine éternelle ;

  • en vertu du pouvoir de juridiction, le confesseur a le pouvoir, distinct mais dont l’exercice est nécessaire pour l’intégrité du signe sacramentel, de réconcilier le pécheur avec l’Église, d’intégrer dans ce signe sacramentel l’expression sensible de la contrition du pénitent et de déterminer la mesure de satisfaction nécessaire.

1.2. Les dispositions du code de droit canonique de 1983, reprenant celles du code pio-bénédictin de 1917, encadrent précisément l’attribution et la délégation de la juridiction, tout en prévoyant une juridiction de suppléance dans tous les autres cas où le salut des âmes le requiert

Les modalités d’application par l’Église de cette règle de nécessité d’une juridiction couvrent deux types de situation.

Le premier cas, qui est celui de droit commun, est celui où l’Église attribue une juridiction, dite ordinaire, à des prêtres. Le code de droit canonique attribue en premier lieu aux personnages suivants une juridiction ordinaire, dont ils sont revêtus par le fait même de leur office :

  • le Pape sur toute l’Église ;

  • l’évêque sur les fidèles de son diocèse ;

  • le curé sur ses paroissiens.

Tous les autres prêtres disposent d’une juridiction déléguée (canon 967 du code de 1983). Celle-ci est reçue soit expressément, par un prêtre nommément désigné, du détenteur d’une juridiction ordinaire, soit directement de l’Église.

Le pouvoir de juridiction délégué aux prêtres par le détenteur d’une juridiction ordinaire l’est, le plus communément, à l’occasion de leur incardination (canons 265 à 272 du code de 1917) dans un diocèse.

Les règles de délégation de juridiction directement déléguée par l’Église établissent un régime de suppléance distinct, qui constitue une catégorie à part et couvre le second type de situation, dans lequel il existe une nécessité alors que le ministre du sacrement ne dispose pas, directement ou par délégation, d’une juridiction ordinaire :

  • tous les prêtres se voient déléguer la juridiction nécessaire en cas de danger de mort (canon 976 du code de 1983) ;

  • la délégation est étendue aux prêtres qui absolvent en cas d’erreur commune ou de doute positif ou négatif (canon 144 du code de 1983).

En vertu de ces dispositions qui ont vocation à s’appliquer, non au cas général, mais à certains cas particuliers, l’Église supplée au défaut de juridiction. Ce cas est prévu, dans le droit canon de 1917, au canon 209 :

En cas d’erreur commune ou de doute positif et probable, sur un point de droit ou de fait, l’Église supplée la juridiction pour le for tant externe qu’interne.

Le canon 144 du code de 1983 contient une disposition en tous points comparable :

En cas d’erreur commune de fait ou de droit, comme en cas de doute positif et probable de droit ou de fait, l’Église supplée le pouvoir exécutif de gouvernement tant au for externe qu’au for interne.

C’est bien évidemment l’appréciation des modalités d’application de ces règles en matière d’attribution de la juridiction de suppléance qui détermine la validité et la licéité des confessions entendues par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X.

2. Bien que les prêtres de la Fraternité Saint Pie X ne disposent ni d’une juridiction ordinaire ni, sauf cas particuliers devenus rares, d’une juridiction déléguée par l’ordinaire, ils possèdent bel et bien une juridiction de suppléance reçue directement de l’Église.

Quelle est la situation de la Fraternité Saint Pie X à cet égard  ? Avant sa suppression, le 6 mai 1975, elle faisait incardiner ses prêtres par des évêques amis de Mgr Lefebvre (dont Mgr de Castro-Meyer au Brésil) puisqu’elle ne pouvait le faire elle-même, n’étant pas de droit international. Ses statuts, approuvés par l’ordinaire, avaient pris des dispositions à cet égard :

En conséquence, tant que la Fraternité est de statut diocésain, les membres qui se destinent au sacerdoce devront avant l’engagement définitif être incardinés dans un diocèse, à moins qu’un indult spécial accordé par la S. Congrégation des religieux les autorise à être incardinés dans la Fraternité.

Statuts de la Fraternité Saint Pie X, titre IV, art. 2, 1er novembre 1970.

2.1. À partir de 1975, date à laquelle les autorités écclésiatiques compétentes ont manifesté expressément leur volonté de la supprimer, les prêtres de la Fraternité Saint Pie X se sont vu refuser l’incardination dans tous les diocèses et donc la juridiction déléguée nécessaire pour entendre les confessions

En revanche, le retrait en 1975 par Mgr Mamie, ordinaire du lieu, de l’institution canonique accordée, en 1969, par son prédécesseur Mgr Charrière avait clairement pour intention de priver la Fraternité d’existence officielle. Quoiqu’elle fût manifestement arbitraire, injuste et surtout directement contraire au salut des âmes, seule loi suprême de l’Eglise, il en découlait, de lege lata, que les prêtres se réclamant d’elle ne pouvaient plus demander l’incardination. La lettre écrite par le Cardinal Villot, secrétaire d’Etat, aux présidents de conférences épiscopales, le 27 octobre 1975, était sans ambiguïté :

Il est donc clair, maintenant que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a cessé d’exister, que ceux qui s’en réclament encore ne peuvent prétendre – à plus forte raison – échapper à la juridiction des Ordinaires diocésains, enfin que ces mêmes Ordinaires sont gravement invités à ne pas accorder d’incardination dans leur diocèse aux jeunes qui déclareraient s’engager au service de la Fraternité.

Mgr Ducaud-Bourget, depuis longtemps régulièrement incardiné dans le diocèse de Paris et qui fut, — bien qu’il n’eût jamais appartenu à la Fraternité Saint Pie X, — le desservant de Saint-Nicolas-du-Chardonnet de sa prise en 1977 à sa mort en 1983, avait les facultés requises pour entendre les confessions, jusqu’à ce que le cardinal Marty, alors archevêque de Paris, les lui retirât le 1er juin 1977. Il s’est alors retrouvé dépourvu de juridiction, mais a continué d’exercer son ministère, invoquant un état de nécessité.

On peut faire la même constatation aujourd’hui pour le supérieur général de la Fraternité Saint Pie X : il s’agit d’un évêque dénué de juridiction : il ne possède ni l’aval du pape pour son élévation à l’épiscopat, ni un territoire — un diocèse — sur lequel exercer une juridiction.

Plusieurs évêques et le Comité canonique de la Conférence des Evêques de France se sont depuis appuyés sur cette absence de juridiction ordinaire pour dissuader les fidèles de fréquenter les prieurés de la Fraternité ; ils affirment régulièrement que les sacrements qui y sont dispensés, notamment celui de Pénitence, seraient invalides. Le clergé diocésain ne manque au demeurant pas une occasion de répandre ce point de vue, au point qu’il est aujourd’ui assez largement répandu chez les fidèles.

La Fraternité continue certes, considérant que sa suppression était nulle et de nul effet, d’incardiner ses prêtres, mais il est assez clair, compte tenu de l’attitude hostile de l’épiscopat à leur encontre, qu’ils ne disposent pas d’une juridiction expressément consentie par l’ordinaire des lieux où ils exercent leur apostolat. De plus, bien évidemment, les fidèles qui fréquentent ses lieux de culte ne sont tenus par aucune obéissance juridique, au sens du droit canon, ni envers ces prêtres, ni envers le supérieur général de la Fraternité.

Il résulte de cette situation que seuls les prêtres de la Fraternité ordonnés jusqu’en 1975 et incardinés avant cette date sont en situation régulière du point de vue de l’Eglise et il n’en reste plus beaucoup. Mais cela ne signifie pas que les autres sont privés de toute juridiction ou du pouvoir d’absoudre.

2.2. Le pouvoir de juridiction des prêtres de la Fraternité Saint Pie X est en réalité un pouvoir de suppléance et non subsidiaire

Raoul Naz (éd Letouzey) dans son Traité de droit canonique, dont la dernière édition date de 1965, donc avant la constitution de la FSSPX, souligne que cette suppléance est faite par l’Eglise elle-même au moment de l’exécution d’un sacrement qui la réclame pour être lui-même valide (et donc spécialement celui de confession). L’abbé H. Mercury dans son ouvrage Mission épiscopale et licéité des Sacrements dans la Tradition et licéité des Sacrements dans la Tradition (Ch IV, Les limites de la suppléance), reprend ce raisonnement qui induit que le pouvoir de juridiction exercé par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X diffère de celui du clergé diocésain, à cause du contexte dans lequel il est exercé :

Le pouvoir des « prêtres de la Tradition » n’est pas ordinaire : il est donné tacitement par l’autorité légitime de l’Eglise dans le cas extraordinaire d’urgente nécessité pour être exercé de manière supplétive, et non subsidiaire.

De quel cas s’agit-il concrètement  ? Mgr Tissier de Mallerais a résumé très clairement les trois cas de figure où la juridiction de suppléance trouve valablement à s’appliquer :

Vous connaissez par exemple le cas de l’erreur commune ? Un prêtre se trouve dans une église, il n’a pas juridiction, mais il est en surplis et étole, et un fidèle lui demande de se confesser. Eh bien, ce prêtre peut confesser bien qu’il n’en ait pas la faculté, parce que le fidèle est dans l’erreur — ce qu’on appelle l’erreur commune. Dans cette situation, l’Église supplée au défaut de juridiction pour le bien du fidèle. Ou encore quand un prêtre ne sait plus très bien s’il a juridiction (il y a un doute) l’Église résout le doute en faveur de la juridiction. De même en cas de péril de mort : voilà un fidèle renversé par une voiture, eh bien le prêtre a pouvoir d’écouter sa confession bien qu’il n’ait pas forcément la juridiction ; parce que dans ce cas l’Église ouvre toutes grandes les portes de sa miséricorde et donne juridiction au prêtre. C’est l’Église elle-même, sans passer par la hiérarchie.

Journées nationales de la fondation. 9 et 10 mars 1991. Actes. Allocution de cloture de Mgr Tissier de Mallerais, Fideliter éd.

Les deux derniers cas évoqués par Mgr Tissier de Mallerais, le doute et le danger de mort, ne posent pas de difficultés particulières. Le cas de l’erreur commune est en revanche plus complexe: qu’en est-il juridiquement du cas, — sur lequel Mgr Tissier de Mallerais fait l’impasse, mais qui est sans doute le plus fréquent et s’applique à tous ceux qui ont pris la peine de lire le présent texte jusqu’ici, — où le pénitent sait pertinemment qu’un prêtre a besoin de facultés pour absoudre valablement et qu’il ne les a vraisemblablement pas parce qu’il appartient à la Fraternité Saint Pie X  ? Peut-on ici parler aussi d’erreur commune  ?

2.3. L’erreur commune, telle que prévue au code de droit canonique de 1983, assure la validité et même la licéïté des absolutions prononcées par les prêtres de la Fraternité même lorsque le pénitent sait qu’ils n’ont pas les facultés normalement requises

Pour répondre à cette question importante, il est nécessaire d’aller plus loin que Mgr Tissier de Mallerais et de faire la distinction entre les deux notions d’erreur commune évoquées au canon 144 précité : l’erreur commune de fait, d’une part ; l’erreur commune de droit de l’autre.

L’erreur commune de fait est celle où le pénitent croit de bonne foi qu’un prêtre, validement ordonné, a le pouvoir de juridiction ordinaire nécessaire pour l’absoudre, ignorant qu’il ne l’a pas, ou encore ne sait même pas que le prêtre a besoin d’une juridiction pour entendre sa confession.

L’erreur commune de droit s’applique quant à elle indépendamment de la situation propre de chaque pénitent : elle couvre tous les cas où les faits sont de nature à déboucher sur une erreur de droit commune : à Saint Nicolas du Chardonnet, par exemple, la présence de prêtres connus pour avoir été validement ordonnés, revêtus d’étoles violettes et entendant de façon routinière des confessions est suffisante pour qu’une partie non négligeable des pénitents ne se pose même pas la question de la validité du sacrement de Pénitence par eux administré. Fait essentiel : cette erreur commune de droit suffit à assurer aussi, par cohérence, la validité des confessions des pénitents parfaitement informés du défaut de juridiction ordinaire.

Le texte du canon 144 de 1983, plus clair que celui de 1917 sur ce point, ne fait que codifier une interprétation précédemment très largement admise par les canonistes.

Les confessions entendues dans ces conditions sont non seulement valides, mais licites: Naz, dans son Dictionnaire de droit canonique déjà cité, précise à l’article « Erreur Commune », IV :

Un prêtre dépourvu du pouvoir de confesser serait coupable si, sous prétexte d’erreur commune, il confessait quelques fidèles qui peuvent facilement se confesser à d’autres; mais le même se mettrait licitement au confessional dans l’église où tout le monde attend une veille de grande fête et où, sans son concours, beaucoup de fidèles seraient privés des sacrements.

La validité des confessions entendues par les prêtres de la Fraternité se déduit également nécessairement du droit des fidèles, énoncé explicitement au canon 1335 du nouveau code de droit canonique de 1983, qui renvoie au canons 2261§§2 et 3 du Code de 1917 : le droit au sacrement y est reconnu au fidèle y compris si le prêtre est excommunié, donc par conséquent incapable d’administrer un sacrement :

Si une censure défend de célébrer les sacramentaux, ou de poser des actes de gouvernement, cette défense est suspendue chaque fois que cela est nécessaire pour secourir les fidèles en danger de mort ; si la censure latae sententiae n’a pas été déclarée, la défense en outre est suspendue toutes les fois qu’un fidèle réclame un sacrement ou un acte de gouvernement ; ce qu’il est permis de demander pour toute juste cause.

On pourra objecter à cela que la possibilité, pour un prêtre de la Fraternité Saint Pie X, d’absoudre validement, voire licitement les fidèles qui le leur demanderaient vide substantiellement de son objet la nécessité pour tout prêtre, posée par le code, d’être régulièrement incardiné et de disposer de facultés pour que ce sacrement puisse être validement conféré. Mais bien évidemment, ce n’est pas la question : l’objectif dans l’un comme dans l’autre cas n’est pas la satisfaction de la conscience du prêtre mais, ainsi que nous avons vu, le bien et le salut des âmes.

2.4. Dans une situation complexe résultant de la très grave crise de l’Église, la Fraternité Saint Pie X a codifié un ensemble de normes qui permettent de continuer la mission de salut des âmes tout en restant un sujet de droit respectueux de l’autorité du Pape

Il n’est peut-être pas inutile, pour mieux comprendre le raisonnement ci-dessus, de rappeler le contexte ecclésiastique et le cadre juridique dans lesquels fonctionne la Fraternité Saint Pie X : la structure fondée par Mgr Lefebvre est toujours restée parfaitement catholique et ne s’est jamais érigée en Petite Église ; elle n’est pas sédévacantiste et s’est toujours refusée à donner une juridiction territoriale à ses évêques ; les laïcs qui assistant à ses offices ne sont pas membres de la Fraternité et cette dernière ne prétend pas qu’ils en seraient les sujets ; de façon générale, elle ne s’est écartée du devoir d’obéissance que dans la stricte mesure mesure induite par l’état de nécessité survenu à cause de la gravissime crise de l’Église.

Le cadre juridique défini dans cette situation de grave nécessité a été décrit très précisément par Mgr Lefebvre dans une lettre envoyée à ses prêtres en 1987, puis codifié dans un ensemble d’Ordonnances concernant les pouvoirs et facultés dont jouissent les membres de la Fraternité Sacerdotale Saint- Pie X, dernièrement en 1997, pour remplacer un recueil analogue publié sous l’autorité de Mgr Lefebvre en 1980.

Il a pourtant été d’emblée difficile pour la Fraternité de trouver un juste équilibre entre deux nécessités délicates à concilier : affirmer d’une part sa volonté d’oeuvrer au salut des âmes en désobéissant, lorsque c’est nécessaire, aux actes contraires à la Foi de la hiérarchie romaine, tout en ne niant pas, d’autre part, que la validité sacramentelle demeure importante et en se positionnant comme un sujet de droit. Cette difficulté a notamment concerné la nécessité dans laquelle elle se trouve d’appliquer deux sources de droit différentes, le code de droit canonique de 1917 dit pio-bénédictin et celui promulgué par Jean-Paul II en 1983, problématique parce qu’il codifie de nombreux éléments contraire à la Tradition et qui l’a en principe abrogé :

Le nouveau code de droit canon, promulgué le 25 janvier 1983, imbu d’oecuménisme et de personnalisme, pèche gravement contre la finalité même de la loi. Aussi suivons-nous en principe le code de 1917 (avec les modifications introduites postérieurement).

Cependant, dans la pratique et sur des points précis, nous pouvons accepter du nouveau code ce qui correspond à un développement homogène, à une meilleure adaptation aux circonstances, à une simplification utile; nous acceptons aussi en général ce que nous ne pouvons refuser sans nous mettre en porte-à-faux avec la législation reçue officiellement, lorsque la validité des actes est en jeu. Et dans ce dernier cas, nous renforçons notre discipline pour la rapprocher de celle du code de 1917.

Ordonnances concernant les pouvoirs et facultés dont jouissent les membres de la Fraternité Sacerdotale Saint- Pie X, Préliminaires, 1997.

3. La validité des absolutions prononcées par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X a été à plusieurs reprises implicitement et explicitement reconnue par l’Église

Il y a enfin un argument, fort au point d’être décisif, en faveur de la validité des confessions entendues par les prêtres de la Fraternité : Rome n’a pas une seule fois, pendant les quelques quarante ans écoulés depuis que la Fraternité Saint Pie X existe, officiellement déclaré que les millions de confessions entendues par ses prêtres auraient été entachées d’invalidité ; elle a en revanche plusieurs fois, n’en déplaise aux évêques français, tranché expressément en faveur de la validité.

Ainsi le cardinal Mayer répondit en 1989, en sa qualité de président de la commission Ecclesia Dei, à une lettre par laquelle un catholique californien l’interrogeait sur la validité des sacrements administrés par la Fraternité:

Le principe de l’erreur commune, qu’elle provienne d’un seul fidèle ou d’une communauté tout entière, trouve à s’appliquer dans ce cas : les actes correspondants sont donc valides (cf. canons 144, 976, 1331, 1333, 1335).

—Nonciature apostolique aux États-Unis, lettre 1885/89/4 datée du 1er mai 1989.

Le cardinal Mayer n’est pas le seul : le site du district d’Allemagne de la Fraternité Saint Pie X a annoncé le 22 novembre 2012 qu’un canoniste renommé, le Dr. Georg May, créé pronotaire apostolique par Benoît XVI au mois de janvier précédent, avait affirmé que l’Église fournissait à la Fraternité la juridiction dont elle avait besoin pour assurer la validité du sacrement de pénitence administré par ses prêtres.

Au-delà de ces cas particuliers, on peut surtout relever qu’aucune communauté Ecclesia Dei ne s’est jamais vu demander, au moment de sa réintégration, de faire répéter, même sous condition, la confession des péchés absous par ses prêtres au moment où ils n’avaient pas de juridiction ordinaire ou déléguée. Il s’ensuit nécessairement que la validité de ces confessions a été implicitement reconnue.

Mgr Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, a fait à ce sujet en 2010, lors d’une conférence organisée aux États-Unis par l’éditeur Angelus Press, la confidence suivante, qui elle aussi démontre que Rome reconnait la validité des absolutions des prêtres exerçant sous son autorité :

Comme le savent la plupart des catholiques, il existe certains péchés graves dont la rémission est réservée au seul Saint-Siège. En droit écclésiastique, lorsqu’un prêtre entend la confession d’une personne qui aurait commis l’un de ces péchés réservés, il est obligé de le signaler au Saint-Siège sous trente jours, afin de pouvoir prononcer l’absolution et imposer la pénitence appropriée au cas d’espèce. Son Excellence a indiqué que les prêtres de la Fraternité entendaient parfois des confessions de ce type et que la notification requise était alors toujours envoyée au Saint-Siège. Dans chaque cas, la réponse reçue du Vatican était que tout était bon et licite et le prêtre concerné de la Fraternité Saint-Pie X a reçu la permission de donner l’absolution.

Cette anecdote démontre sans ambiguïté possible que la validité des confessions entendues par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X est officiellement, quoique discrètement, reconnue par Rome chaque fois que le Saint-Siège est obligé de sortir du bois sur la question. Le cas contraire ne s’est jamais présenté.

L’ensemble de ces éléments démontre que les prêtres de la Fraternité Saint Pie X, déjà revêtus, en vertu de leur ordination sacerdotale, du pouvoir d’ordre, ou radical d’absoudre les péchés, se voient attribuer dans tous les cas directement par l’Église une juridiction de suppléance suffisante pour exercer le pouvoir de juridiction qui doit nécessairement s’ajouter au pouvoir d’ordre pour que le signe sacramentel intègre l’expression de la contrition du pénitent et de la satisfaction nécessaire.

Dit plus simplement, vous pouvez aller vous confesser à Saint Nicolas du Chardonnet en toute tranquillité.