Le vol de Nadine Morano autour d’un nid de gyrophares


Du camion de laitier embouti par Valéry Giscard d’Estaing au piéton que le convoi de Nadine Morano a envoyé à l’hôpital, dans le coma, voici quelques jours, il y a une gradation qui mérite peut-être qu’on y réfléchisse au-delà de l’accumulation des boulettes de ce ministre qui semble décidément porter la poisse à M. Sarkozy.

En Angleterre même la Reine ne se déplace jamais de la manière des convois officiels français, toutes sirènes hurlantes et motards sifflets au bec. Il est vrai que le très francophile Tony Blair avait introduit cette pratique dans son pays, mais même dans son cas, le scandale s’était limité à l’utilisation, par son convoi, d’une file réservée aux bus.

Le Parisien, lui, est habitué au passage de ces convois roulant à toute vitesse et presque toujours au mépris de toutes les règles de la circulation, voire de la plus élémentaire prudence. Les chauffeurs affectés aux cabinets ministériels m’ont raconté la formation qu’ils reçoivent censée leur permettre de rouler ainsi sans compromettre la sécurité de leurs passagers et des personnes qui croisent leur route. Et de fait, les accidents sont plutôt rares, même si tous n’ont pas les honneurs du Canard enchaîné: n’est pas Mme Morano qui veut, surtout que le convoi en question avait dans un premier temps été présenté, — dans l’espoir évident d’étouffer l’affaire, — comme un « convoi judiciaire ».

Pour autant, si les Français savaient par qui ces convois sont utilisés, et surtout pour quel usage, je crois qu’un débat salutaire surgirait autour de cette pratique assez scandaleuse. Il m’est souvent arrivé, voyageant à bord de voitures officielles avec de simples membres de cabinets ministériels, de voir ces derniers plaquer d’office un gyrophare sur le toit, — tout en rabattant la plaquette lumineuse « POLICE » contre le pare-brise, — et jouer aux apprentis zorros alors que ni leurs fonctions, ni la nature du déplacement, ni l’urgence ne le justifiaient. Certains allaient jusqu’à utiliser ces dispositifs pour leurs déplacements personnels.

Ces écarts, survenant à la fin du second mandat de Jacques Chirac qui avait été mieux inspiré lors de la première cohabitation (je crois savoir qu’il avait alors demandé à ses ministres, justement, de ne pas utiliser le gyrophare), ne sont pas grand chose à côté de ce que sont devenus les convois sous celui de Nicolas Sarkozy. Simple ministre de l’Intérieur, ce dernier ne sortait pas de la place Beauvau sans un convoi de plusieurs dizaines de voitures, sirènes hurlantes, à la stupéfaction d’un voisinage qui en avait pourtant vu d’autres. Le faubourg Saint-Honoré, où j’habitais alors, était régulièrement totalement bloqué par ces gamineries.

Autre pratique frisant le grotesque, le goût des membres du Gouvernement et de leurs entourages pour les voyages en avion, même lorsqu’ils représentent une absurdité logistique. Ainsi le Canard enchaîné nous apprend que Mme Morano se rendait… à Toul :

A peine le temps de monter et de descendre. En TGV, Nancy est à une heure et demie mais un aéronef siglé République française, c’est beaucoup plus classe.

Je me souviens de la visite en province — à moins de deux cents kilomètres de Paris ! — que m’avait racontée un collègue, du Premier ministre accompagné d’un autre membre du Gouvernement (à l’époque, on était en chiraquie et le président de la République ne faisait pas encore tout). Ils étaient partis en voiture et ils étaient revenus en avion en oubliant d’ailleurs mon camarade sur place, si bien qu’il a dû se résoudre à rentrer tout seul avec le convoi des voitures. Comme il était agacé, il est monté dans la voiture du Premier ministre, pour voir quel effet cela faisait. Au début, me disait-il, on est bien. On se sent un peu PM :

Puis j’ai allumé la radio et je me suis rendu compte qu’il n’y avait que de mauvaises nouvelles, du point du vue du PM. Cela m’a rafraichi. Puis nous sommes arrivés à Matignon, presque au même moment que les passagers de l’avion, si bien que les huissiers ont été un peu surpris de me voir arriver escorté de motards.