Beaucoup d’observateurs extérieurs à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) guettent attentivement les quelques informations—dont, notamment, l’entretien de Mgr Bernard Fellay avec l’abbé Lorans sur Radio Courtoisie le 26 janvier 2017—qui filtrent concernant la régularisation canonique de cette dernière. Ils se figurent le plus souvent, comme le site italien Il Foglio qu’il s’agit, en pratique, désormais d’un sujet assez simple, mais qu’il va provoquer une scission au sein de la FSSPX. Les mêmes s’imaginaient déjà qu’une scission spirituellement douloureuse, mais aussi logistiquement et humainement compliquée et coûteuse se serait produite en 2012 si le Pape n’avait pas, parallèlement, cédé aux pressions des adversaires de cette mesure en laissant s’enliser des discussions théologiques oiseuses, qui ont au demeurant rebondi tout aussi inutilement deux ans plus tard.
Cette fois, ces observateurs extérieurs s’imaginent, un peu naïvement, que la question serait de savoir si Mgr Fellay reculera à nouveau devant ce risque de scission. Ils affirment, de façon un peu simplificatrice, qu’il aurait bien tort, surtout « dans le contexte actuel », ne comprenant toujours pas pourquoi il n’avait pas franchi le pas depuis au moins cinq ans. Les échos de presse sur le sujet, mal informés et dissimulant souvent fréquemment des intentions peu louables, assombrissent encore un peu le tableau.
La plupart des observateurs se disent qu’au fond, une régularisation canonique de la situation de la FSSPX changerait assez peu de choses, même si elle améliorerait le sort des lieux de culte et peut-être aussi du clergé concerné, ainsi que le règlement de certaines situations canoniques embrouillées pour les fidèles qui fréquentent lesdits lieux de culte.
Mon sentiment personnel est que le nombre des membres des la FSSPX prêts à prendre le risque concret de s’embarquer dans une scission est surestimé.
D’abord à cause des conséquences très douloureuses que cela entraînerait pour eux sur le plan matériel : La FSSPX cesserait immédiatement de pourvoir à leur entretien et ils deviendraient tributaires des fidèles qui voudraient bien les suivre dans leur aventure pour pourvoir non seulement à leur entretien le plus nécessaire, mais encore à celui des lieux de culte qu’il faudrait improviser, à partir de rien, pour permettre l’exercice de leur ministère. C’est largement pour cette raison que les départs depuis 2012 se sont réduits à un filet minuscule et que Mgr Williamson à échoué à entraîner un seul prêtre de la Fraternité dans son aventure.
Une proposition complètement différente de celle qui avait échoué en 2012
Ensuite parce que la proposition sur la table actuellement — même si nous n’avons pas officiellement connaissance de son contenu — diffère presque certainement radicalement de celle de 2012.
En 2012, Rome avait entretenu un flou considérable sur la portée exacte des engagements auxquels il était demandé à la FSSPX de souscrire en contrepartie d’une régularisation. Lors d’entretiens en particulier avec Mgr Fellay mais aussi à d’autres occasions, Benoît XVI avait laissé à tout le moins entendre qu’il y aurait aucune contrepartie. Ses collaborateurs et notamment le cardinal Mueller l’ont ensuite contredit. Le préfet du Saint-Office, à ce titre responsable des relations avec la FSSPX, a notamment affirmé que la FSSPX, en dépit du fait que Benoît XVI avait rendues inopérantes, en 2009, les « excommunications » fulminées en 1988 contre ses évêques, serait toujours sous le coup d’une soi-disant « excommunication sacramentelle », inventée de toutes pièces par le cardinal puisque elle n’existe pas en droit canon.
Le cardinal, qui clairement à l’époque ne voulait pas d’un accord, a ensuite rendu publiques un ensemble de conditions qui ne laissaient guère le choix à Mgr Fellay que de renoncer à l’accord proposé.
Un contexte plus favorable que jamais
Aujourd’hui la situation est toute différente.
D’abord à cause du contexte. En accordant aux prêtres de la FSSPX, en sus de la juridiction de suppléance qu’ils ont toujours eue (les prêtres de la Fraternité Saint Pie X ont toujours pu validement donner l’absolution : ils n’ont pas le pouvoir de juridiction ordinaire ou délégué que l’Eglise a institué à cet effet dans le code de droit canonique, mais plutôt une juridiction de suppléance, reçue directement de l’Église en vertu du même code et qui s’applique, validement et licitement, même lorsque le pénitent sait qu’ils n’ont pas les facultés normalement requises) une juridiction explicitement déléguée, d’abord pour un an, puis définitivement, le pape François a agi plus habilement que son prédécesseur. Les évêques français, qui jusqu’alors agitaient comme un chiffon rouge à chaque occasion la prétendue invalidité de ces confessions, n’ont pas osé réagir. Le terrain a ainsi été préparé, d’autant que les milieux proches de l’Ecclesia Dei, traditionnellement très hostiles à la Fraternité, sont désormais beaucoup plus ouverts, en raison du changement de climat, beaucoup moins favorable à la Tradition depuis l’abdication de Benoît XVI. Pour les mêmes raisons, le cardinal Muller, dans lequel le Pape ne met aucune confiance, a été écarté de ce dossier comme de tous les autres. On peut même dire plus largement qu’il ne reste aujourd’hui presque rien de l’édifice érigé par Jean-Paul II au moment où il « excommunia » Mgr Lefebvre et les quatre évêques sacrés en 1989 pour faire barrage à la Fraternité Saint-Pie-X au moyen d’une Tradition parallèle et, en quelque sorte, « conciliarisée », autorisée à célébrer la messe traditionnelle à la condition non négociable de reconnaitre la validité et la licéïté de la nouvelle.
Cette question de la licéïté de la messe promulguée par Paul VI en 1969 à toujours été le point d’achoppement le plus redoutable fans le discussions engagées entre Rome et la FSSPX.
Or sur ce point précis, les conditions désormais proposées par Rome sont (sous le réserve évoquée plus haut) beaucoup plus favorables. Les débats théologiques n’intéressent pas le moins du monde le pape François. Il a donc fait savoir que la réintégration était proposée sans exiger de la FSSPX la moindre contrepartie, non seulement sur le plan de l’adhésion aux document promulgués à l’occasion du Concile mais aussi, vraisemblablement, sur la licéïté de la messe de Paul VI. On peut raisonnablement supposer que cette absence de conditions au plan théologique figure noir sur blanc dans le projet d’accord qu’on dit être entre les mains de Mgr Fellay.
Le risque de scission interne en cas d’accord n’a jamais été aussi faible
Si la prudence l’emporte cette fois encore, ce sera moins à cause d’un risque de scission que je crois que le changement dans le contexte et dans les conditions proposées rend peu important, qu’à cause du fait que ce que le pape François a fait peut être ensuite défait, soit par lui-même, soit par un successeur.
De fait, les dernières scissions importantes ont été celles des Mexicains et Nord-Américains voici longtemps et ensuite les départs intervenus suite aux sacres de 1988. Depuis, ce ne sont que ce qu’in pourrait qualifier de micro-scissions.
Le risque résiduel de scission sera désormais encore plus faible : en effet, contrairement à ce qui était murmuré en 2012, cette fois il serait expressément affirmé que l’acquiescement aux innovations et hérésies potentielles conciliaires n’est pas requis.
Bien davantage que ce très faible risque de scission interne, c’est donc la perspective d’être un jour traité comme l’ont été les Franciscains de l’Immaculée, puis l’ordre de Malte, qui pourrait empêcher l’accord d’aboutir.
Au plus juridique, il est vraisemblable que la Fraternité demanderait des garanties consistant à ce que la prélature personnelle (voire un hypothétique « évêché mondial », la formule de la prélature personnelle inspirée par l’unique précédent de l’Opus Dei ne liant pas le Souverain Pontife s’agissant de la régularisation de la FSSPX) chapeaute plusieurs autres structures qui lui seraient rattachées, dont évidemment la FSSPX qui conserverait ainsi intacts ses statuts (approuvés par un décret de l’Evêque de Fribourg le 1er novembre 1970, loués par une lettre de la Sacrée Congrégation du Clergé en date du 18 février 1971), sa forme de gouvernement et bien sûr ses biens, mais aussi les communautés amies (masculines, féminines et de rite oriental) et les établissements d’enseignement fidèles à la Tradition qui sont restées fidèles à l’oeuvre de Mgr Marcel Lefebvre.
Le précédent des Franciscains de l’Immaculée ou de l’Ordre le Malte ne comporte pas de risques pour la FSSPX
Il convient en fin de souligner, malgré les inquiétudes que ces deux cas ont pu susciter, comme leur caractère objectivement scandaleux, que les persécutions subies par les Franciscains de l’Immaculée et par l’Ordre de Malte sont des précédents difficilement transposables à la FSSPX : dans les deux cas, on a fait pression sur des religieux liés par des voeux afin de leur extorquer le patrimoine qu’ils géraient et de les empêcher d’agir dans un sens conforme au bien de l’Eglise.
La FSSPX est une association de prêtres séculiers, comme l’Oratoire ou encore les Missions étrangères de Paris. Il n’y a pas de voeux, mais seulement une question d’incardination. En l’espèce, la Fraternité était en situation canonique régulière, puis elle a cessé de l’être et maintenant il est question qu’elle le redevienne. S’il y avait des tentatives d’abus de pouvoir, rien ne les obligerait à y céder.
Pour toutes ces raisons, je ne crois pas qu’il y ait de grands risques si le choix était fait d’accepter l’offre d’une régularisation canonique. Pour autant, depuis que la question des confessions a été réglée, cette dernière constitue moins que jamais pour la Fraternité Saint-Pie-X une question de vie ou de mort, mais plutôt une question qu’elle n’a pas le droit de cesser de se poser : c’est précisément parce qu’elle dure depuis plus de quarante ans qu’il nous convient de nous rappeler tous les jours, pour nous en désoler, la situation dans laquelle se trouve la FSSPX depuis que Rome a prétendu mettre fin à l’operation « survie » engagée en 1969 par Mgr Lefevre. Pour nous en désoler, mais aussi pour persévérer dans la recherche d’un moyen agréable à Dieu d’y mettre fin, par attachement son caractère de structure parfaitement catholique et, par là, parfaitement soumise au Pontife Romain, dès lors qu’il n’agit pas contre la loi de Dieu.